Le Diable s'habille en soprana. [PV Auty]

J'arpente nerveusement les jardins immenses du château, tout aussi immense. J'ai un certain nombre de raisons d'être angoissé, la première étant que je me trouve actuellement devant le puits du château du pire et éternel ennemi de mon maitre - Geoffroy de Méryl - à savoir Arthur, Roi de Bretagne, Seigneur de Caamelot et, c'est d'ailleurs pour cela que je le hait, suzerain de la belle Automnal qui est par ailleurs ma seconde raison d'être tendu comme une corde de luth. En effet, j'ai envoyé un jeune valet la quérir, l'ennui c'est que si elle devine que c'est moi, elle risque d'envoyer la garde et je n'ai pas spécialement envie de faire connaissance avec le commandant local qui, parait il, est très porté sur le passage à tabac. Ce qui est un comble, si on songe que j'ai surtout envie de caresses là.... Troisième raison et non des moindres, je suis habillé en moine. Et il s'avère que ce qui aurait pu être une expérience édifiante vire au cauchemar, vu comme je transpire et comme le tissu dont est fait ma "soprana" est rude.... et bien disons que si je ne suis pas complétement écorché à la fin de la soirée c'est que j'aurais une chance énorme.

Je m'assied sur la margelle du puits et caressant le pommeau du long poignard que j'ai glissé dans ma manche. Ça me détend un peu de sentir l'arme dans ma main.
Je soupire, me demandant encore pourquoi je suis ici. Je pense que je suis juste amoureux d'Automnal, l'ennui c'est qu'il pourrait y avoir d'autres raisons moins sympathiques. Elle pourrait m'avoir ensorcelé, ça aurait pu être une succube, il n'es pas impossible que j'ai été poussé dans une spirale autodestructrice suite à un événement remontant à me prime enfance, et encore, là je reste dans les limites du probable.

Tout ça a commencé par notre rencontre dans Brocéliande, j'ai été subjugué par son charme innocent. Elle paraissait tellement douce, tellement gentille... en temps normal ça m'écœure, mais ce jour là j'étais malheureux et je recherchais de la compagnie. Alors je me suis ouvert à elle, j'ai dévoilé plusieurs choses que je souhaitais garder secrètes à une ennemie potentielle et pire que tout, j'ai souhaité la revoir.
Après mon retour au château je me suis renseigné sur Elle, j'ai juste découvert qu'elle était au service d'Arthur en tant que chevalier depuis quelques années et que son père et son frère l'étaient également. Et hier j'ai décidé de la revoir. Je me suis déguisé en moine, j'ai pénétré dans l'enceinte du château d'Arthur et j'ai envoyé chercher la Belle.

Il me semble apercevoir une silhouette encapuchonnée qui s'approche. Je me lève, époussette mes habits et joint les mains.

Je lance un coup d’œil nerveux à la progression du soleil dans le ciel : le cercle de feu était déjà bien haut. Accélérant le pas, je ne tardai pas à me mettre à courir, craignant les remontrances de ma mère. Alors que je lui avais promis d’être présente à l’atelier tôt dans la matinée, j’avais complètement oublié que je lui avais proposé mon aide et étais partie en promenade à cheval au lever du soleil. Je savais qu’il était déjà bien trop tard pour rattraper le temps perdu, mais mieux valait arriver en retard que ne pas venir du tout.

Tandis que je parcourais à toute vitesse les longs couloirs du château, je songeais aux derniers jours. Bien sûr, il y avait l’accident, avec Seth et moi, au cours duquel nous avions failli y laisser la vie. Tous les deux. Seulement cela me semblait déjà si loin… Comme si de nombreux mois s’étaient écoulés depuis. Et puis, j’avais rencontré Lug. Sur le moment, je me souvenais avoir été écoeurée par ses propos. Lug était un assassin, Lug était un meurtrier, Lug était un ennemi. Mais pourquoi donc, quelques jours après notre discussion, ne pouvais-je m’empêcher de penser à lui ? J’avais entendu de nombreuses rumeurs à son propos. Il semblait qu’il soit un homme cruel et sans cœur. Et pourtant, avec moi, il ne m’avait pas semblé si… « méchant ». Si, bien sûr, ce dernier mot avait une réelle signification.

Perdue dans mes pensées, je manquai de percuter un jeune valet. Heureusement, celui-ci s’écarta à temps ; d’un geste, je m’excusais, puis m’apprêtais à repartir lorsqu’il m’attrapa soudainement le bras. Selon lui, il me cherchait depuis un certain temps déjà, un moine l’ayant envoyé me chercher. Il m’attendait près du puit.

Je congédiais le jeune homme après l’avoir remercié, puis reprenais ma route en fronçant les sourcils. Curieusement, et contrairement à la plupart des autres chevaliers, je n’étais pas très croyante. Sans pouvoir dire avec certitude que Dieu n’était que baliverne, je n’y croyais pas réellement : quelle raison pouvait donc justifier la demande d’un moine de me voir ? Une certaine angoisse me serra soudain le cœur. Nolan, mon frère, il était à la guerre. Et même Andrew, son ami le plus proche, n’avait plus de nouvelles de lui depuis un certain temps. Et s’il était… mort ? Je me remis à courir en direction du parc, angoissée. Ma mère m’attendait depuis déjà bien longtemps, quelques minutes ne changeraient rien à la donne. Au pire, quelques remontrance : de toute façon, depuis que j’avais perdu un œil, ma mère se refusait à me « fâcher ». Je détestais penser de cette façon, mais quitte à devenir « borgne », autant que cela serve à quelque chose.

A mon arrivée au puit, je constatai que le moine était bien présent. Tandis que je m’approchais, il se leva et épousseta ses vêtements avant de joindre les mains. Une fois rendue auprès de lui, je m’inclinais doucement, puis après un bref salut de la tête, je ne pouvais m’empêcher de poser la question qui m’angoissait.

- Il s’agit de mon frère ? demandai-je précipitamment.

Je n’osais lever le regard du moine, craignant d’y discerner une quelconque approbation. J’osais finalement lever le regard, et effectuai un léger bon en arrière : ce moine, je le connaissais. Enfin, non, pas en tant que moine. Mais quelles que fussent les raisons de ce déguisement, l’homme qui me faisait face n’était autre que Lug.

- Sir O’Brien ?! murmurais-je avec surprise. Mais… Que faites-vous ici ?!

Je lançais un regard prudent aux alentours : il n’y avait personne. Heureusement, car Lug était en danger, ici. Le fait d’être l’un des plus fidèles bras droit de Geoffroy ne faisait très certainement pas de lui un ami d’Arthur.

Mon cœur s’emballe quand je vois la silhouette d’Automnal, seule, qui se découpe au loin, c’est comme si je voyais un ange descendre de son paradis d’or et d’ivoire pour venir me rencontrer, moi pauvre pécheur. Sa robe vole au vent, ainsi que ses cheveux, lui donnant encore plus l’air d’une de ces fées qui hantent les contes…et la fantastique réalité des forêts comme Brocéliande. Quand je me remémore notre rencontre je ne peux que conclure que les dieux ont voulu que nous nous croisions : que ce soit pour nous entretuer dans une terrible lutte pour nos seigneurs respectifs ou au contraire pour nous lier d’amitié et, qui sait, changer le cours de l’Histoire du royaume breton.

Étrangement Automnal à l’air un peu paniquée, elle se jette presque sur moi malgré sa démarche en apparence calme, essoufflée, elle semble complètement déboussolée et effrayée mais elle prend néanmoins le temps de me saluer de la tête.

- Il s’agit de mon frère ?

Je marque une courte surprise. Son frère ? Je croyais qu’il était à la bataille, pour sa patrie et son roi, à l’instar de la plupart de ces chevaliers pétris d’idéalisme et de gloire, rêvant de roses et de pucelles en détresses et qui finissent souvent plus tôt que prévu dans une boite en bois… Serait ce pour ça qu’elle est inquiète ? Craint elle que je lui annonce la mort de son frère bien aimé ? Certes, mon habit actuel peut prêter à confusion, d’autant plus qu’elle ne m’a pas, encore, reconnu.
Soudain son regard s’éclaire et l’incrédulité, avec peut être un soupçon de peur, se lit sur son beau visage.

-Sir O’Brien ?!

Elle a finit par me reconnaitre, enfin. Cela dit elle n’a pas l’air heureuse de me voir ici, ce que je peux concevoir. Si je voyais l’un des assassins d’Arthur (encore que ce godelureau soit sans doute trop noble, honorable et cul-pincé pour employer le moindre mercenaire, assassin, reître ou autre spadassin) dans la cour du château de Geoffroy je ne serais sans doutes pas au comble du bonheur. Mais contrairement à Automnal je ne chercherais pas à savoir ce qu’il fait là et je l’exécuterais sans aucune forme de procès. Heureusement que la belle dame chevalier n’est pas comme ça.
Souriant, je m’incline en posant un doigt sur mes lèvres.

-Moi-même ma Dame.

Oui, décidément elle semble complètement perdue. J’essaie de m’expliquer, histoire qu’elle ne parte pas en hurlant et en appelant la Garde.

-Excusez moi si je vous ai inquiétée, là n’était pas mon intention. En fait, je souhaitais simplement vous revoir, et comme vous m’y avez autorisé je me suis permit de venir à votre rencontre. Encore qu’en l’occurrence ce soit vous qui soyez venu à la mienne.

Je lui fais un autre grand sourire, m’assied à nouveau sur la margelle du puits et, comme auparavant à Brocéliande, je lui fais signe de s’asseoir en toute tranquillité.

-Comment allez vous Sir Key ? Vous m’avez manqué, sincèrement. Notre conversation de la dernière fois m’a comme ressuscité.

Tout en parlant je ne peut m’empêcher de l’observer. Elle est toujours aussi belle. Quel âge peut elle avoir ? Ce qui est sûr c’est qu’elle est très jeune, plus que moi sans aucun doutes.
Je tente une petite plaisanterie.

-Apparemment ce n’est pas réciproque.

Suite à ma surprise, Lug s’inclina en posant un doigts sur ses lèvres. Tandis que je me remettais doucement de la terrible inquiétude qui m’avait saisie, il souriait et semblait sincèrement heureux de me revoir ; pour ma part, j’étais tout simplement anxieuse. Si quiconque nous surprenait, nous risquions tous les deux très gros. Lug pourrait être emprisonné dans le but d’obtenir quelque chose de Geoffroy, ou tout simplement condamné à mort. Pour ma part, je serais immédiatement éxecutée pour trahison ; de toute façon, personne n’aurait chercher à savoir le pourquoi du comment. Je discutais avec un ennemi déguisé en moine, les faits étaient là. Et mon interlocuteur ne semblait pas prendre conscience des risques qu’il courait en s’aventurant ici.

J’étais complètement partagée sur la façon dont je devais réagir. Crier, alerter les gardes ? Bien sûr, dans ce cas, j’aurais été acclamée en tant que celle qui avait dénoncé le plus grand meurtrier de Geoffroy. C’est ce que j’aurais du faire, autant dans mon propre interêt que par devoir. Seulement je n’en voyais pas l’interêt. Comettre ce genre d’acte n’était pas dans mes principes. Et puis, bien que je n’aime pas me l’avouer, je réalisais que malgré sa nature d’assassin ennemi, je ne le détestais pas, Lug. Pire, j’avais bien l’impression de… l’appécier.

-Excusez moi si je vous ai inquiétée, là n’était pas mon intention. En fait, je souhaitais simplement vous revoir, et comme vous m’y avez autorisé je me suis permit de venir à votre rencontre. Encore qu’en l’occurrence ce soit vous qui soyez venu à la mienne.

Je faisais un léger de la main pour indiquer que ses excuses étaient acceptées. L’important restait que le moine n’en était pas un, et qu’en conclusion mon frère ne devait pas être mort. Je me contentais donc de lever les yeux au ciel, exaspérée envers moi-même. Je me souvenais bien de cet instant au cours duquel j’avais plus ou moins… acquiescé à l’idée que Lug et moi, nous nous revoyions. Je m’étais montrée totalement illogique et irresponsable.

Mon interlocuteur, après un nouveau sourire, me fit calmement signe de m’asseoir. Une étrange impression de déjà vu me saisit brusquement. Tout cela ressemblait tellement à notre entrevue dans la Forêt de Brocéliande… Je ne savais pas où j’étais le plus en sécurité. Quiconque sain d’esprit n’oserait abattre quelqu’un dans un lieu aussi beau que la magnifique forêt qui marquait la frontière entre les territoires des deux châteaux ennemis ; en contre-partie, il y avait rarement de témoins, dans cet océan de verdure. Comettre un meurtre était si facile… Ici, au château, la situation me semblait inverse. Il n’y avait rien de sacré sur la petite place de la cour du château, et comettre un meurtre un meurtre ici était presque quelqe chose de banal – je n’oubliais pas, au passage, que c’était exactement en ce lieu, près du puit, que j’avais assassiné l’homme qui était sur le point d’abattre Seth après qui lui-même est essayé de l’abattre. En bref, l’inconvénient était qu’ici, en revanche, les gens étaient nombreux, et un meurtre en plein jour ne passerait pas inaperçu. Si Lug tentait de me tuer, il saurait immédiatement arrêté. Au passage, ce serait déjà trop tard pour moi : tant pis ?
En bref, malgré le fait que, pour une raison que j’ignore, Lug risquait beaucoup dans le but de me revoir, j’étais encore loin d’avoir confiance en lui. Aussi aimable qu’il se montrait depuis notre rencontre, je n’oubliais qu’il n’était qu’un ennemi.

-Comment allez vous Sir Key ? Vous m’avez manqué, sincèrement. Notre conversation de la dernière fois m’a comme ressuscité.

Ressuscité ? La remarque me parut légèrement ironique, étant donné que la discussion en question avait justement porté sur la mort et la ré-incarnation. Un léger sourire étira les commisures de mes lèvres, bien que je doute que Lug en saisisse réellement le sens. Je me gardais cependant de faire tout commentaire, me contentant d’analyser la situation avant de prononcer quoi que ce fut.

-Apparemment ce n’est pas réciproque.

En même temps, il fallait me comprendre. Se sentir à l’aise dans un telle situation me paraissait bien compliqué… Je passais ma main dans mes cheveux, pré-occupée. Je savais comment me comporter. Fallait-il que je sois hautaine, que je me comporte en bonne vieille ennemie ? Fallait-il, au contraire, paraître amicale ? Je laissais échapper un soupir. Tant pis. Malgré la méfiance que mon interlocuteur m’inspirait, je tentais de baisser un peu le masque de soupçons sous lequel je me cachais pour n’être que moi. Jouer à cache-cache avec ce que j’étais était loin de me plaire.

- Ce n’est pas ça, tentais-je d’expliquer. Mais essayez donc de comprendre. Croiser le pire des assassins d’un seigneur ennemi dans un territoire que l’on croit surveillé est déjà relativement déstabilisant. Et je ne peux que vous avouer que les raisons pour lesquelles vous souhaitez tant me revoir m’échappe.

Je me décidais enfin à m’asseoir à côté de Lug, déjà plus à l'aise. Après tout, j'étais chez moi. Et s'il se passait quoi que ce soit qui me mette en danger, je n'aurais qu'à crier. J'oubliais du même coup que ma mère, elle, m’attendait probablement encore.
Tant pis.

Automnal était vraiment inquiète, elle regardait autour d’elle, comme si elle avait peur (et c’était sans doutes le cas) qu’on la surprenne avec Lug le Sanglant, assassin à la solde de Geoffroy, le plus grand tueur de ce siècle d’obscurantisme, et surtout un ennemi mortel du faux roi Arthur. Elle sait que si quelqu’un me reconnait, nous sommes tout les deux morts, voire pire, elle pour haute trahison, et moi pour : infiltration, espionnage, meurtre, attentat, mensonge, haute trahison, lèse majesté, vol, peut être même des crimes que je n’ai pas commis comme : viol, magie noire, nécromancie, pyromanie… C’est fou ce que le bas peuple m’a collé sur le dos. Il suffit qu’une vache meure dans un champ pour qu’on m’accuse d’avoir jeté le mauvais œil sur tout le village, ou d’avoir empoisonné le puits avec une potion maléfique, alors que je suis incapable de préparer ne serais-ce qu’une tisane de thym.

Elle s’assied néanmoins à côté de moi, paraissant un peu soulagée. Cependant, à peine ai-je fait ma remarque qu’elle retrouve son masque d’inquiétude, elle passe sa main dans ses longs cheveux et se tourne vers moi.

- Ce n’est pas ça. Mais essayez donc de comprendre. Croiser le pire des assassins d’un seigneur ennemi dans un territoire que l’on croit surveillé est déjà relativement déstabilisant. Et je ne peux que vous avouer que les raisons pour lesquelles vous souhaitez tant me revoir m’échappe.

Ah, c’est donc ça. Je lui fais peur. Bon, certes je n’ai pas une réputation qui permet d’instaurer un climat de confiance, surtout auprès des chevaliers d’Arthur qui aurait plutôt tendance à m’embrocher et à faire connaissance après. Mais elle sait que je ne lui ferais pas de mal… Ou peut être ne le sait elle pas, justement.

-Je comprends parfaitement ma Dame. Et, une fois de plus, sans vouloir vous effrayer, je suis presque fier de ma réputation auprès de vos semblables. Cependant, ma réputation dis aussi que je suis d’une discrétion extrême, personne ne m’a reconnu, à part vous, et c’est parce que vous êtes l’une des seules ennemies potentielles encore en vie après avoir croisé ma route. Permettez moi de vous rassurer néanmoins : jamais, au grand jamais, je ne vous ferez de mal. Et par là même je réponds de façon détournée à votre question : si je tiens à vous revoir c’est parce que vous me plaisez énormément.

Elle à l’air vraiment choquée. Je crois que lui dire aussi franchement mes sentiments n’était pas la meilleure idée. Soudain une affreuse pensée me vient, et si elle avait déjà un amant, peut être même est elle fiancée ou mariée ! A cette idée je ne peux m’empêcher de serrer la lame de mon couteau dans ma manche, je sens la le fil aiguisé de l’arme me déchirer la chair, et mon sang qui commence à couler. Je pousse un grognement de douleur et sors ma main de ma manche. Le regard d’Automnal s’agrandit encore.

-Ne vous en faites pas, ce n’est qu’une blessure superficielle.

Je fait une courte pause, l’amertume de la pensée que ma douce Automnal soit déjà promise à un vulgaire chevalier bouffi d’orgueil me rempli l’esprit, m’empêchant de penser clairement. J’essaie tout de même de plaisanter.

-Naturellement, si vous êtes déjà engagée… je… Je vous laisserez tranquille. Ce n’est pas comme si j’allais tuer cette personne….

D’accord, tentative de plaisanterie échouée, vu la tête d’Automnal j’ai dû même être carrément terrifiant. Je me met à genoux devant elle, comme je l’avais fait lors de notre première rencontre, et lui prends à nouveau la main, mon sang goutte au sol.

-Hem, j’ai… du… du mal à exprimer ce que je ressens. Tout ce que je veux dire c’est que vous me plaisez vraiment beaucoup, et que jamais je ne pourrez vous faire le moindre mal. Alors, par pitié, ne me craignez pas.

Je me rendais compte peu à peu que, finalement, je n’avais pas si peur de Lug. Cela aurait été plutôt naturel, seulement j’étais chez moi. La Forêt de Brocéliande était remplie de mystères, et bien que m’y rendant souvent, je me savais incapable de m’y sentir en totale sécurité. Ici, c’était différent. Et puis… Sir O’Brien n’avait fait aucun signe agressif envers moi. Bien au contraire. Et cela m’intriguait : heureusement, celui-ci ne tarda pas à me fournir une explication.

-Je comprends parfaitement ma Dame. Et, une fois de plus, sans vouloir vous effrayer, je suis presque fier de ma réputation auprès de vos semblables. Cependant, ma réputation dis aussi que je suis d’une discrétion extrême, personne ne m’a reconnu, à part vous, et c’est parce que vous êtes l’une des seules ennemies potentielles encore en vie après avoir croisé ma route. Permettez moi de vous rassurer néanmoins : jamais, au grand jamais, je ne vous ferez de mal. Et par là même je réponds de façon détournée à votre question : si je tiens à vous revoir c’est parce que vous me plaisez énormément.

Au tout départ, j’esquissais une légère moue d’incompréhension. Fier ? D’une réputation qui faisait de vous le pire criminel connu, un assassin sans cœur et sans pitié ? Que l’on me voit d’une telle façon, pour moi, m’effrayerais. En m’engageant chez les Chevaliers, je croyais faire partie d’un groupe de personnes ne visant qu’à défendre le territoire d’Arthur au nom de
la liberté et du roi. Ce n’est seulement qu’en côtoyant un peu plus mes « collègues » que mes rêves de monde pacifiste et heureux s’était effondré. Partout les gens semblaient assoiffés de sang, de gloire et de guerre. Partout les gens se battaient pour goûter au plaisir de la mort et de la victoire. Pourquoi ? Et pour quelle raison Lug faisait-il partie de ces gens ?

La deuxième partie de la longue réponse de Sir O’Brien, dans un premier temps, me surprit au plus au point. Bien que je finisse par me douter que mon interlocuteur était loin de me vouloir du mal – et je notais tout de même le « ennemie potentielle » dont il parlait -, le fait que je puisse lui « plaire » m’avait totalement échappé. Je baissais le regard, bouche bée. Pourquoi
donc ne pouvais-je attirer d’autres personnes que des assassins ? D’abord Seth, puis Lug. Tout cela allait contre mes principes, moi qui détestais tuer et tout ce que s’ensuivait. Seulement, je ne pouvais pas nier sans mentir que le fait que Lug me plaise bien, à moi aussi. C’était une impression assez confuse, brouillée de plus par le dégoût de la mort que me rappelait Sir O’Brien, seulement… C’était tout simplement inexplicable.

Toujours aussi silencieuse, je levais un regard un peu perdu, indécis. Juste à temps pour voir Lug sortir de sa manche une main sur laquelle glissaient quelques sillons de sang, tandis que celui-ci poussait un grognement de douleur. Mes yeux s’agrandirent d’étonnement et je faillis effectuer un pas en arrière, réalisant que mon interlocuteur cachais une arme, avant de me
raviser en me rappelant que –en principe-, il ne me voulait aucun mal. Mon étonnement laissa bientôt place à une légère inquiétude. La blessure de mon interlocuteur était-elle profonde ?

-Ne vous en faites pas, ce n’est qu’une blessure superficielle.

Complètement indécise, je n’osa faire un geste ni dire quoi que ce soit. J’avais peur de dire –ou de faire- une bêtise, de faire une erreur. Devant mon manque de réaction, Lug tenta de plaisanter.

-Naturellement, si vous êtes déjà engagée… je… Je vous laisserez tranquille. Ce n’est pas comme si j’allais tuer cette personne….

Cette simple phrase me fit plus peur qu’autre chose. Lug était un assassin, et je doutais que, si quelqu’un se dressais sur son chemin, il se contente de m’oubler. Bien sûr, je ne le connaissais pas, Sir O’Brien. Je fondais toutes mes suppositions sur les stéréotypes des grands assassins, et sur les échos qui circulaient au château.
Ma première pensée vola vers Seth. Quelques jours plus tôt, j’aurais sans hésiter dis à Lug de m’oublier. Seulement, Seth, il était parti. Je lui en voulais tellement de m’avoir laissée derrière… Seulement, après son départ, j’avais osé croire que ma vie redeviendrait celle d’avant. L’arrivée du jeune homme dans ma propre vie avait été à l’origine du grand bazar qui régnait dans ma tête. Avec mon œil en moins, pouvais-je continuer ma carrière de Chevalier ? Lui parti, devrais-je m’acharner à l’aimer ?
Et puis, une question encore me trottais dans la tête. Si j’avais encore été avec Seth, le fait de l’avoir révéler à Lug l’aurait-il mis en danger ? Bien sûr, la question ne se posait pas, étant donné que je n’étais plus avec Seth et que je n’avais absolument l’intention d’en parler à mon interlocuteur. Seulement, je ne savais pas jusqu’où pouvait aller Lug. Et ça me faisait… peur.

-Hem, j’ai… du… du mal à exprimer ce que je ressens. Tout ce que je veux dire c’est que vous me plaisez vraiment beaucoup, et que jamais je ne pourrez vous faire le moindre mal. Alors, par pitié, ne me craignez pas.

Je reportais mon regard vers Lug et constatais avec surprise que celui-ci s’était agenouillé devant moi. Et que pouvais-je dire, à présent ? Je restais un instant immobile, à réfléchir.

- Je ne vous crains pas… murmurais-je comme pour gagner du temps.

Bien sûr, cela n’était pas totalement le cas. Malgré tout, j’avais peur de Lug… Je ne lui faisais pas confiance. Quoi qu’il en soit, il restait momentannément un inconnu et ennemi d’Arthur, et personne ne pouvait me reprocher de penser cela.
Seulement, malgré cela, Lug me plaisait… Pour quelles raisons ? L’aimais-je vraiment ? Où pensais-je cela par pur contradiction avec moi-même ? Seth m’avait abandonné. Et j’avais presque envie de me… venger, et de fermer définitivement la porte à Seth. Etre avec Lug, ça pouvait être une façon d’oublier Seth, et de passer à autre chose.

Tout était parfois si compliqué…

- Vous seriez venu hier, je n’aurais probablement pas vu les choses de cette façon. Seulement c’était, justement, hier, et à présent… Vous me plaisez bien, à moi aussi, avouais-je en rougissant, tandis que je levais le regard pour éviter de croiser celui du faux moine.

Je sursautais soudainement. Si personne ne s’était montré auparavant, j’entendis quelques bruits de pas fouler le sol pavé. Sans attendre, je m’agenouillais au côté de Lug et fit semblant de prier, espérant que personne ne s’aperçevrait de la main ensanglantée de celui-ci. Je doutais qu’une moine blessé agenouillé devant une Chevalier n’intrigue pas les passants… Heureusement, ceux-ci finirent par disparaître et je me tournais de nouveau vers Lug, indécise.

Je sens un frisson me parcourir quand elle s’agenouille à côté de moi. Pourquoi sa proximité me met elle dans un état pareil ? Ressent elle la même chose ? Elle murmure rapidement.

- Je ne vous crains pas…

Ah non ? Mon cœur fait un bond dans ma poitrine au moment où elle dit ça et je me met déjà à imaginer Automnal décidant de rejoindre le camp de Geoffroy… Idioties que tout cela , je sais parfaitement que pour convaincre la belle « chevaleresse » de trahir son roi il faudrait un excellent mage. C’est aussi ce que j’admire chez elle. Sa foi inébranlable en son seigneur, même si pour moi Arthur n’est qu’un lâche qui se réfugie derrière ses chevaliers pour commettre autant de crimes que Geoffroy au nom de la « Quête du Graal ». Le Graal… un prétexte parfaitement absurde si on y pense : une fée sortie des eaux avec une épée magique aurait dit à Arthur qui passait tranquillement par là pour aller trousser une fermière de sa connaissance : « Tu es l’élu qui doit rechercher le Saint Graal. Je te donne Excalibur l’épée magique pour t’aider dans ta quête…. Ah et pense à réunir tout les péquenots du coin, adoube les chevaliers et envoient les se faire buter à ta place ».
Personnellement je trouve ça un peu gros. D’autant plus que d’après les rumeurs le Graal serait la coupe qui aurait recueillie le sang du Christ, or quand Arthur a reçu l’épée le christianisme n’en était qu’à ses balbutiements. Toute cette histoire me paraît louche, mais au fond qu’importe ? Même si Automnal suis Arthur je l’aime quand même.

- Vous seriez venu hier, je n’aurais probablement pas vu les choses de cette façon. Seulement c’était, justement, hier, et à présent… Vous me plaisez bien, à moi aussi

Elle rougit en me disant ça et j’ai l’impression de fondre. Moi, Lug O’Brien, le Sanglant, l’Impitoyable….je suis incapable de réagir quand elle me dit ça. Je me contente de sourire béatement.
En revanche quand elle se met à genoux près de moi et que j’entends des bruits de pas je me tends comme une corde d’arc, près à bondir sur le premier qui ferait le moindre, le plus infime, geste d’agression envers MA Automnal. Le fait qu’elle soit proche de moi accélère encore mon cœur et ses paroles, en s’enfonçant encore plus profondément dans ma tête me donnent envie de bondir et d’hurler mon bonheur au monde entier.

Je me penche vers elle et lui murmure à l’oreille.

-Je ne sais pas ce qui vous a fait changer d’avis, mais je bénis cette chose.

Je la regarde en face et sa beauté me frappe une fois de plus. Je me perd dans son regard d’eau limpide et pendant un instant qui me semble infini nous nous taisons tout les deux et nous observons simplement. Je ne sais pas ce qu’elle pense de moi, mais j’ai envie qu’elle sache ce que je pense d’elle.

-Vous êtes l’une des plus belles femmes que j’ai vu. Vous êtes intelligente, attirante, sublime…

Je me tais, ne sachant plus que dire . J’ai l’impression d’être ridicule comme tout ces chevaliers et courtisans avec leurs paroles sucrées… Et si elle pensait que je lui mens ? Cette pensée me traverse un instant l’esprit, vite chassée par une autre : Et si elle disait que je lui plait simplement parce qu’elle a peur de moi ?

Tandis que les inconnus derrière nous passaient leur chemin, Lug semblait… tendu. Déjà totalement destabilisée, ce fait ne faisait qu’ajouter à mon attitude indécise. J’étais totalement perdue… Avais-je eu raison de dire à Lug qu’il me plaisait ? L’aimais-je vraiment ? Si la situation n’avait pas été aussi… grave, je n’aurais pas manqué cette occasion de pousser un rire moqueur à me propre intention. Quand, petite, ma mère me racontait l’histoire de princes et de princesses aux prises avec leurs histoires amoureuses, je me moquais volontiers de ceux-ci. Il semblait qu’aujourd’hui, j’avais pris la place de la princesse.
J’étais pathétique.

Lug se pencha près de moi et me murmura quelques mots à l’oreille. Un soudain mal de tête me saisit, accentué par le sang qui battait mes tempes avec tant de forces… Je faisais reposer mon front sur la paume de ma main droite, espérant simplement que la douleur et l’agitation qui régnait dans ma tête allaient refouler.

-Je ne sais pas ce qui vous a fait changer d’avis, mais je bénis cette chose.

Je me sentais tellement coupable… Je mêlais Lug aux problèmes qui m’assaillaient. Lui qui semblait m'aimer avec tellement de force… Je ne savais même pas si ce que j’éprouvais envers lui était réellement de l’amour. De la crainte, de l’admiration, un désir de passer à autre chose ? Toutes ces possibilités pouvaient très bien être à l’origine de ce que je ressentais.

Un long silence prit place entre Lug et moi. Les secondes semblaient s’étirer, mais je ne savais que dire. Lui avouer que ce que je ressentais pour lui n’était peut-être que quelque chose d’éphémère ? Mentir et lui dire que je l’aimais à peu près autant que lui semblait m’aimer ? Non, pas mentir. C’était hors de question, et totalement contre mes principes moraux. Le regard de Lug me sondait et je baissais le mien.

-Vous êtes l’une des plus belles femmes que j’ai vu. Vous êtes intelligente, attirante, sublime…

Ce genre de déclaration aurait fait plaisir à n’importe quelle femme, fut-elle au cœur de pierre. De tels compliments auraient dus me faire sourire, me faire plaisir. Après tout, la nature humaine se nourissait en grande partie de la valeur qu’elle s’accordait… Mais non. Ces deux phrases ne firent que m’emplir d’une terrible envie de pleurer. En cet instant, j’aurais simplement voulu être laide, terriblement bête et repoussante ; rien de tout cela ne serait arrivé. J’aurais simplement continué la vie à laquelle j’aspirais, serais devenue Chevalier et me serais entièrement dédiée au combat.
On ne choisit pas toujours la vie qu’on souhaite.

- Pourtant, ça, ce n’est pas particulièrement élégant, murmurais-je d’une voix cassée en désignant mon œil aveugle et la longue cicatrice qui barrait ma joue gauche, dans une mince tentative de penser à autre chose qu’à retenir les larmes qui se pressaient au coin de mes paupières.

Je ne savais plus que dire, que faire. Si jamais quelqu’un savait que je tombais amoureuse de l’un des pires hommes de Geoffroy… Je ne comprenais moi-même pas comment j’avais pu en arriver là. Moi qui n’avait d’autre but dans la vie que de faire triompher le seigneur Arthur…
Moi qui m’étais promis de ne jamais mentir, de ne tuer que pour des raisons valables, de garder le contrôle de moi-même… J’avais faillis à chacune de ces promesses.
Une larme vint rouler sur ma joue.

-Ex… excusez-moi, fis-je en détournant le visage, luttant pour ne pas hoqueter.

J’en venais à plaindre Lug. Je luttais contre mes larmes ; je ne voulais pas qu'il se sente coupable. J’aurais du lui dire dés le début de s’en aller, de m’oublier. Je n’avais pas oser. J’étais allée jusqu’à lui dire qu’il me plaisait.
Maintenant, il était trop tard.

[Hors RP : J'ai vu ton message sur Deezer... Merci mon Lug ♥ Héhé, je suis une grande, maintenant, du haut de mes 14 ans 8D //PAN//]

Je ne comprends pas pourquoi, mais mes paroles semblent attrister Automnal. Je me demande ce qu’elle peut penser de moi. Étrangement je me sens moi-même….. stupide. Profondément stupide. Après tout, j’avoue à une femme que je n’ai vue qu’une seule fois que je suis fou amoureux d’elle, sachant pertinemment que cette femme est au service d’Arthur et qu’elle gagnerait probablement une belle somme s’il elle me décapitait sur place… Stupide donc, ou parfaitement inconscient, ce qui reviens au même : je risque ma vie pour le cœur d’une parfaite inconnue.

Elle me montre son œil aveugle du doigt et murmure.

- Pourtant, ça, ce n’est pas particulièrement élégant.

Comment lui dire que je ne trouve pas ça repoussant, au contraire ? Je lève ma main et effleure la cicatrice qui lui coure jusque sur la joue.

- Croyez moi, c’est loin de vous défigurer. Ça équilibre presque votre visage, ou plutôt ça le scinde harmonieusement.

Je ne suis pas doué pour les compliments, je n’ai pas l’habitude de parler aux femmes dans ces termes… En général je me contente de leur susurrer quelques mots à l’oreille et de les entraîner dans mon lit. Je me rends soudain compte à quel point cette dernière décennie de ma vie était cruellement dénuée de tout sentiments. Je tuais, buvais, baisais…. Une machine à vices se contentant de errer sans buts. Et depuis quelques jours j’allais mieux, une simple rencontre m’aurait elle permis de revivre ? J’ose penser que c’est le cas, mais alors, aimais je Automnal à cause de ça ? Simplement parce que discuter avec elle m’avait envoyé une bouffée d’air frais ?

La belle se détourne brusquement, une larme roulant sur sa joue.

-Ex… excusez-moi

Je ressens une soudaine envie de la serrer contre moi, pour la rassurer, la consoler, sans même connaitre la raison de ces larmes.
Un vieil instinct de conservation me fait jeter un coup d’œil autour de nous… personne. Je pousse un soupir de soulagement….et prend le visage d’Automnal entre mes mains. Pendant un court instant nous nous fixons, puis je me penche vers elle et l’embrasse.
Au moment où nos lèvres entre en contact je réalise la folie que je commet. Automnal n’est pas une de ces soubrettes si facile à séduire, je n’ai même pas à la toucher, elle est sacrée. Pourtant je n’arrive pas à me résoudre à interrompre ce baiser. La saveur de ses lèvres me parait la plus douce des ambroisies, le délice des dieux.
Je me rapproche un peu plus d’elle et la prend dans mes bras, craignant qu’elle ne se dégage et lance l’alerte qui sonnerai mon glas.

Je mourrais d'envie de m'enfoncer vingt pieds sous terre, de disparaître brusquement et ne plus jamais réapparaître. J'avais envie d'oublier un instant ce que j'étais, le lieu où je me trouvais, le lieu que j'avais à jouer. Une bonne petite amnésie, pourquoi pas. Rien de mieux pour recommencer à zéro, du tout au tout. Lorsque l'on a trop de peine, oublier me semblait être l'option la moins douloureuse. Une option égoïste et inimaginable, certes. Mais si tentante... Si l'amnésie aurait pu être provoquée sur commande, nul doute que j'aurais depuis longtemps actionné le mécanisme de l'effacement de ma mémoire.

Lug jeta un rapide coup d’œil derrière lui, puis s'approcha encore un peu plus de moi et saisit mon visage entre ses mains. Une étrange sensation de brûlure traversa tout mon être. Je n'avais pas le droit. Pas le droit d'être ici, pas le droit de tomber amoureuse d'un homme dont je ne connaissais que le nom et la réputation peu méliorative, pas le droit de m'enticher d'un homme ennemi. Je n'avais pas le droit de trahir Arthur.

Et pourtant... Je ne faisais pas un geste. Je n'en avais pas le courage. Je me contentais de planter mon regard humide dans celui, sombre, de Lug, sans esquisser un geste. Et maintenant. Je devais partir, vite, où il serait trop tard. Courir et oublier cet homme, courir sans regarder, l'effacer de mon passé comme je tentais de le faire avec Seth.
Mais c'était impossible. J'étais prisonnière, prisonnière de mes émotions.

Lug approcha doucement son visage du mien, et je restais immobile. Lentement, ses lèvres se sont posées sur les miennes ; j'avais envie de crier, de me dégager. N'était-ce pas les lèvres de Seth qu'il me semblait embrasser ? Je trahissais Arthur en embrassant Lug, je trahissais Lug en ne l'aimant que pour me consoler. Je n'étais plus qu'un vieux chiffon sans valeur.
Je n'en n'avais pas le droit et pourtant je ne demandais qu'à rester là, avec le bras droit de Geoffroy. Je voulais l'embrasser à nouveau et me blottir dans ses bras, en oubliant tout le reste. Pourquoi ne pas être un peu égoïste, ne serait-ce qu'une seule fois ? Pourquoi ne pas abandonner toutes les valeurs auxquelles j'étais fidèles pour me tourner vers un état d'esprit plus... égocentrique ? J'en étais incapable.

Lug s'approcha un peu plus de moi et me prit dans ses bras. C'était si... agréable. Un court instant, je ne pus m'empêcher de passer mes bras autour de son cou, de caler ma tête contre son épaule.
Un court instant.
Puis la réalité refit surface. Brusquement, je me dégageais. Je ne devais pas céder... Pas aussi facilement... A moi-même. Et je ne voulais pas faire de peine à Lug. Qu'adviendrait-il si Seth revenait ? Il y avait de fortes chances que je retourne vers lui, laissant derrière moi le mercenaire de Geoffroy. Ce n'était pas... juste.

- Lâ...Lâche-moi, murmurais-je brusquement. Nous... Je n'en ai pas le droit...

Je me redressais, effectuais un pas vacillant en arrière. Me détournais. Tout était toujours si compliqué... Il aurait fallu que je m'en aille. Si Lug tentait à nouveau de me prendre dans ses bras, je n'aurais jamais la force de m'en dégager une seconde fois.

Alors qu'elle pose sa tête sur mon épaule je vois des images très claires défiler dans ma tête. Je me vois en train d'égorger Geoffroy et de prendre sa place sur le trône, Automnal à mes côtés. Je me vois vieux, propriétaire d'une petite ferme, Automnal à mes côtés et des petits enfants jouant autour de nous. Je me vois mort, frappé par une flèche sur le champ de bataille, dans la guerre opposant Geoffroy à Arthur, Automnal courant vers moi en hurlant quelque chose d'incompréhensible. Je vois Automnal morte, tuée par ma faute. Je vois Automnal en compagnie d'un homme brun, un de ces assassins magiciens que je méprise, elle murmure son nom et l'embrasse avec passion.

Soudain elle se dégage, je redescends brusquement sur terre, mal à l'aise à cause de ces visions. Elle me repousse en murmurant:

- Lâ...Lâche-moi. Nous... Je n'en ai pas le droit...

Elle se redresse et me tourne le dos. Elle vacille légèrement...
Je me lève à mon tour, malheureux. Je ne sais pas comment réagir. Si je tente à nouveau de la prendre contre moi je prends le risque de la perdre à jamais. D'un autre côté si je m'en vais ce ne sera pas mieux, elle pourrais me prendre pour un lâche...

Je reste donc debout, de plus en plus mal à l'aise. Je finis par murmurer.

-Si vous voulez que je parte.... Je partirai.

En disant cela je prie de toutes mes forces pour qu'elle ne me le demande pas. J'ai le sentiment que si elle m'ordonne de partir maintenant.... je ne m'en remettrai pas, jamais.
Sans pouvoir m'en empêcher je m'avance vers elle et l'enlace doucement. Je sais que c'est de la folie pure, mais qu'importe, dès le premier jour elle m'a attiré comme les cieux attirent les hommes. Je l'embrasse dans le cou, respirant son parfum. Elle sent la saponaire, cette fleur dont se frotte ceux qui ont un minimum de connaissance en plantes et qui aiment prendre soin d'eux. A cet instant précis ma seule et unique crainte n'est pas qu'on nous surprenne, mais que je la perde.

Je devrais partir, courir vers la boutique de ma mère et m'y enfermer. Oublier Lug, oublier Béatrix, et tout ce qui, quelque part, me lie à Geoffroy, le pire ennemi de l'homme que je me sentais prête à servir jusqu'à la mort. Pourquoi le destin s'acharnait-il ? Je ne demandais qu'à passer une vie exemplaire de chevalier auprès de mon roi. Pourquoi la vie se plaisait-elle à semer mon parcours d'embûches, pourquoi fallait-il ainsi tout compliquer ? Je me haïssais, moi et mes fichus principes.

Derrière moi, j'entendis Lug se redresser à son tour. Non, il ne fallait pas qu'il s'approche de moi. Ne comprenait-il pas que tout cela allait... beaucoup trop vite ? Je m'étais blottie dans ses bras sans vraiment savoir si je l'aimais, comme pour me... consoler. Et pour moi, ça comptait. Je ne voulais pas mentir à Lug pour ne pas lui causer de la peine, je ne voulais pas me mentir à moi, tout simplement. L'ensemble de la vie avait été ponctuée par déjà bien des mensonges, et j'en avais assez. Il me fallait être franche avec Lug. M'enfuir en courant, ou lui expliquer clairement pourquoi j'étais si réticente.

-Si vous voulez que je parte.... Je partirai.

Non ! Non, je ne voulais pas qu'il parte. J'aurais dû le lui demander dés le début... Mais je n'en avais pas la force. J'étais fatiguée. Fatiguée d'avoir à lutter contre moi et contre les autres. Je restais muette. Que dire alors ? Je ne savais à quelle partie de moi obéir. Lug pouvait-il comprendre le dilemme qui me tourmentait ? Saisissait-il à quel point il me semblait trahir mon roi, à m'enticher ainsi d'un homme fidèle à Geoffroy, d'un homme qui avait tuer nombre de mes confrères ?

Lug s'approcha doucement de moi, et m'enlaça à nouveau. Je n'eus d'autre choix que de me laisser faire. Comment pourrais-je le repousser une seconde fois ? Tandis qu'il m'embrassait dans le cou, je m'assurais à nouveau que personne ne passait dans le coin. Si mes pensées s'agitaient confusément dans mon esprit, je n'en oubliais pas le risque que Lug et moi courrions en nous retrouvant ainsi tous les deux.

- Tout... serait si simple vous n'étiez pas à la solde de Geoffroy. Si vous n'étiez pas un meurtrier...

J'appuyais plus fort sur ce dernier mot. Meurtrier. Pour me donner la force de me dégager... Peine perdue. Les yeux plongés dans ceux de Lug, je ne pus résister plus longtemps et posais lentement mes lèvre sur les siennes... J'étais complètement folle, il me fallait arrêter tout cela maintenant. Sans pour autant me défaire des bras de Lug, j'écartais mon visage du sien, regrettant déjà mon geste.

- Je... je n'aurais pas dû. J'ai peur que tout ça ne soit qu'une erreur, je...

Je marquais une courte pause, et baissais les yeux, honteuse. Comment formuler mes pensées sans blesser cet homme, qui semblait tant tenir à moi ?

- Tout cela va bien trop vite et... J'ai peur de... D'aimer un autre à travers vous, de vous aimer simplement pour me consoler et... Je ne veux pas vous faire de peine. Je... suis désolée.

Je posais ma main sur la joue de Lug, et plantais à nouveau mon regard dans le sien. Je ne pourrais rien lui apporter de bon. Le souvenir de Seth était encore trop brûlant dans ma mémoire pour que je ne puisse me permettre d'affirmer que Lug n'était pas qu'un simple lot de consolation, pour me permettre de lui dire « Je t'aime ».

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