Depuis un moment déjà je l'observais tourner en rond dans sa cage. Semblable à un fauve depuis trop longtemps enfermé, et qui jamais ne se résignerait à la captivité.

Une picte, cela ne se voyait que trop bien. Peuple fier des terres sauvages de l'Ouest, terres que jamais je n'avais osé traverser, terres qui me seraient pour toujours interdites, du moins si je tenais à la vie. Inutile de décrire leur férocité au combat, qui ne les empêchait cependant pas d'honorer les morts, tant alliés qu' ennemis. Ni leur connaissance de la nature, le talent sans égal de leurs guérisseuses. Un peuple digne, comme on en rencontre peu en ce monde.

La « petite sauvage » faisait le sujet de tous les ragots dans la garnison. Pas moins de 6 hommes disait-on, qu'elle avait habilement étendu, avant de tomber à son tour.
C'est ce qui m'avait poussé à venir la voir. Comment se faisait t-il, qu'Une picte ait réussi cet exploit ? Les guérisseuses ne participant jamais au combat, du moins si leurs coutumes n'avaient changées. Coutumes qui d'ailleurs ne leur consacraient pas pareil destin.
Mais les faits étaient là, Elle était là.
Malgré sa profonde blessure, je savais que si libérée, elle tueraient aisément une bonne dizaine d'hommes avant de basculer
Cependant, derrière la crainte apparente qu'elle me suscitait, derrière les tatouages et les peintures, derrière le sang, je sentais autre chose. Elle me fascinait.

- Pourquoi toi rester cacher ! Toi avoir peur ? Que les lâches, rampent dans l’ombre !

Je ne bougeais pas cependant, du moins pas sur le moment. Je scrutais son regard, admirait sa prestance. Après quelques minutes, je m'avançais enfin.

- Votre blessure, vous serez morte dans quelques jours si vous n’arrêtez pas de bouger comme vous le faite. Vous devriez pourtant le savoir, guérisseuse... !

Elle allait mal, il lui fallait de quoi se soigner, des plantes, des bandages. Et la forêt n'était qu'à quelques heures d'ici.

« Pas un pas de plus », « vas-y, rapproche toi ». Qui de la prudence ou de la curiosité je devais à présent écouter ? Elle pourrait aisément saisir mon épée, ou simplement me saisir moi, et me tuer. Elle en était capable. La prudence prit le dessus, je ne bougeais plus.

- Non. Ça être rien. Petite écorchure. Pas faire mourir picte. Nous pas être petites choses fragiles comme vous.

Je profitais de la proximité pour observer plus attentivement sa blessure. Belle déchirure, plus grave que l'impression qu'elle donnait au loin . Vu l'état de la cellule, l'infection ne tarderait plus, s'en suivrait fièvre, affaiblissement, démence, et le long sommeil, celui dont on ne se réveille plus.
Un pincement au cœur s'en suivit immédiatement, et je chassais cette idée de ma tête, pour ne plus jamais l'y retrouver.

- Moi pas être guérisseuse. Pas soigner. Moi blesser. Ça pas se voir ?

Son visage, je l'observais à présent. La souffrance se lisait presque dans ses yeux, enfouie derrière une profonde lueur de vengeance, de colère. Oui elle était guerrière, malgré la jeunesse que même la fatigue et son barbouillage ne pouvait dissimuler totalement.

- Si toi pas me croire, demande à guerriers du roi. Ceux encore debouts. Ceux qui ont crâne ouvert par ma hache parlent plus.

Je ne pu m'empêcher de lui rendre un léger sourire d'amusement. Quelque chose s'était définitivement enraciné, une idée qui ne me quitterait plus, parce que je l'avais décidé, et qu'il devrait en être ainsi.

- Vous comprenez ma langue. Je connais votre peuple, et certaines de ses coutumes. Vous ne devriez être ici, mais la guerre est cependant votre destin.

Je m’arrêtais un moment pour la fixer, faire taire la prudence qui tentait désespérément de refaire surface. J'avançais d'un pas.

- Mais je ne savais pas les guerrières pictes assez idiotes pour se laisser mourir dans un cachot, chose à laquelle les guerriers de votre peuple ne m'ont guère habitué.

J'affichais un léger sourire provocateur. Quoi de mieux qu'un défi pouvait pousser un picte, une picte à se surpasser ? Du moins, je l'espérais.

- Le crépuscule est tombé, je puis être de retour avant l'aube. Je ne demande rien. Il vous faudra tenir.

J’avançais d'un pas, j’étais à présent à portée de bras. Je jetais ma gourde dans la cellule.

- Ne buvez, ne mangez rien de ce que l'on vous donnera. La crasse aurait raison de vous. Ne provoquez pas.
Ce ne sont pas des ordres, la liberté de vivre ou mourir vous appartient.

Je reculais vivement avant de disparaître dans le sombre couloir qui me menait à la liberté. Calendula, camomille, tilleul et bandage, c'était facile à trouver. Non, c'était la « petite sauvage » qui devrait se battre pour sa survie.